Fukushima : l’ingénierie de l’urgence

fukushimaLe 11 mars 2011, le Japon connaît un des séismes les plus importants de son histoire. Ce séisme de magnitude 9, suivi d’un tsunami, touche la zone de Fukushima. Les réacteurs de Fukushima Dai Ichi sont arrêtés et Masao Yoshida, directeur de la centrale, supervise la cellule de crise. Franck Guarnieri, directeur du Centre de Recherche sur les risques et les Crises (CRC), basé à Sophia Antipolis, se définit comme un « interprète entre les sciences de l’ingénieur et les sciences de gestion ». Il a choisi, avec son équipe de recherche, de traduire le témoignage de Masao Yoshida et de le mettre à disposition de la communauté scientifique francophone afin d’apporter un éclairage nouveau sur l’ingénierie en situation de crise.

Valeurs Vertes : Pourquoi ce livre ?
Franck Guarnieri :
Après Three Miles Island et Tchernobyl, les rapports officiels sur l’accident de la centrale de Fukushima Dai Ichi n’ont fourni aucun élément nouveau sur la gestion de la catastrophe. Le témoignage de Masao Yoshida, a apporté une autre clef de compréhension, plus humaine et de terrain. Le traitement médiatique de Fukushima Dai Ichi, épisode de téléréalité 24/24, a brouillé les pistes, assorti d’un discours sécurisant sur la sûreté nucléaire.

V. V. : Quelle est la genèse de la publication de ce témoignage ?
F. G. :
Après l’accident, le gouvernement japonais a créé une Commission d’enquête et a demandé à Masao Yoshida de témoigner. Ce témoignage de 400 pages n’aurait pas du être publié mais un journal japonais, le Asahi Shimbum en a livré une traduction fallacieuse. Le gouvernement a été obligé de rendre public l’intégralité du rapport. Nous nous sommes intéressés à ce texte et avons décidé de le traduire, personne ne s’étant emparé du sujet jusque là.

V.V. : Quels enseignements en avez-vous tirés ?
F. G. :
Ce travail nous a permis de faire émerger le concept d’« ingénierie de l’urgence » afin de comprendre comment des organisations d’ingénierie peuvent se comporter face à une défaillance technique de grande ampleur. Nous étudions aussi trois autres cas : l’accident de la plateforme pétrolière Deep Water Horizon, l’incendie dans la capsule Apollo 13 et la dernière coupe de l’America où les décisions d’ingénieries prises ont permis aux Américains de sortir vainqueurs. Quel est le rôle des différents acteurs ? Comment négocier de nouvelles règles par rapport à ce qui était établi ? Dans le cas de Fukushima Dai Ichi, le site est tellement dévasté par le tsunami, qu’ils n’ont plus d’électricité. Les systèmes d’automatisation sont défaillants. Seule l’intelligence humaine peut faire face à la situation et c’est ce qu’incarne le directeur de la centrale, Masao Yoshida.

V. V. : Parlez nous de Yoshida
F. G. :
Yoshida nous livre ici un récit de vie aux dimensions éthique, psychologique voire psychanalytique. En un mot, un récit profondément humain. Yoshida est extrêmement préoccupé par le sort des autres. Il se présente lui-même sous le rôle du manager. Lorsqu’il croit avoir perdu une équipe de 40 personnes, il a l’intention de se donner la mort. C’est un personnage très religieux qui s’interroge sur le sens de la vie. Il met en avant l’opposition entre leader politique et leader technique, insistant par là sur le microcosme qu’est la centrale. Les autres sont les « gens de l’extérieur », incapables de comprendre ce qu’ils sont en train de vivre. Enfin, ce lieu est chargé de sens. Fukushima était une base d’entraînement des kamikazes japonais pendant la Seconde Guerre mondiale. Yoshida dans son récit, « anamorphise » l’installation, comme s’il était face à quelque chose de vivant.

V.V. : Comment adapter ces conclusions à l’enseignement dans les écoles d’ingénieurs ?
F.G. :
Ce témoignage apporte une autre façon d’aborder la sûreté nucléaire, introduisant le facteur humain, qui ne figure dans aucun manuel mais ne s’apprend que sur le terrain. La mise en pratique dans un contexte de cours est difficile. Comment recréer une situation de stress intense où vous perdez le rapport au temps ? Ce témoignage apparaît comme un bon vecteur de connaissance de ce point de vue.

V.V. : Et la suite ?
F.G. :
Ce volume est le premier d’une série de quatre. Il présente un intérêt pour la sûreté nucléaire et pour toute la communauté scientifique. C’est également un passionnant roman, un thriller basé sur la technologie.




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